La culpabilité demeure la pire des fièvres. Je la sens me donner des coups de tambours sur les tempes et façonner des plis sur mon front. Ma radio me décolle les yeux à 6 heures. Des nuages gonflés m'accueillent au réveil.
Je dois quitter la grande ville pour mon propre plaisir, pour penser à moi, tout simplement. Comme souvent dans ma vie, j'applique les conseils de grand-papa. Un homme qui s'affichait visiblement en avant de son temps.
Tu verras garçon, l'avenir va se développer dans l'informatique. II ne faut surtout pas croire toutes ces mauvaises langues qui prédisent à ces merveilleuses machines un avenir incertain. Surtout pas celles qui y voient tous les maux de la Terre. Au contraire! C'est 1'avenir. Mais elles auront toujours besoin des hommes. Tu sauras te maintenir au-dessus d’elles.
J’écoute tellement ses conseils, que maintenant, mon titre de cadre me pèse terriblement. J'ai grimpé tous les échelons jusqu'en avoir le vertige. Là-haut, je donne des directives à ceux qui me suivent. Aujourd'hui, je ne travaille plus. J’ai pris congé. J'ai tout passé par-dessus bord, tout abandonné. Plus de téléavertisseur, plus de téléphone cellulaire, je démissionne. Le grand patron l’apprendra bien assez tôt.
Je lui enverrai un message par Internet. Du genre : « J'en ai assez, je n'ai plus de vie que celle de la compagnie. Je suis seul avec mon salaire. Votre bogue, vous pouvez vous...»
Je verrai bien. « Patron. Je démissionne. Michel. Bonne année quand même.»
Je fuis pour être certain de ne pas pouvoir revenir à temps. Je rejoins les miens, pour les célébrations du Nouvel An, du nouveau millénaire. Ma fièvre réduira probablement au fur et à mesure que les kilomètres s'accumuleront.
Tu sauras te maintenir au-dessus d'elles... Cette fois-ci, ce sera loin d’elles.
Oui, je sais maintenant. «Salut Boss. J'ai baisé votre femme dans votre bureau. Superbe!»
Ça ne le dérangera même pas. Je lui compte au moins deux conquêtes au bureau, sans compter celles des nombreux 5 à 7. Ces divins moments pour oublier que vous vivez dans un loft, à regarder des films, à manger pitoyablement, à dormir ou à vous laver. Personne d’autre que votre travail. C'est la course vers le bistro où les parfums nous tiennent en laisse. Un véritable magasinage de couchette. Un étalage de performances. Je fatigue en m'abreuvant de cette sincérité de façade. Je m'épuise à raconter toujours les mêmes sornettes. Je veux tout simplement quitter ma solitude.
Voilà ce qui se produit lorsque la vie nous transporte loin des vôtres.
Je veux rejoindre ma campagne, mes étendues d’eau. Je veux désespérément retrouver mes arbres, me coller le nez sur les écorces en caressant les branches. L'instinct de survie. Il faut que je justifie ce désespoir. Fuir à tout prix. J'étouffe ici.
Pas question de rester au travail, juste au cas où nos clients pourraient nous servir de la panique farcie pour le réveillon. Je ne veux pas devenir le seul à bouger alors que tout s’arrête. Surtout que ce matin, une effroyable tempête de neige sévit. Les intempéries me tiennent en joue, bien attaché au poteau du quotidien. J'aurais dû partir la veille. Mais le froid glacial retenait la voiture. Le mercure s'est calmé à la faveur de la nuit. Je m'en vais, convaincu que ma motivation fera fondre les flocons.
À suirrre...
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