Au menu à soir, de l’endive farcie (Richard Tremblay, invité du Delicatessen)


- R’tourne toé pas mais y regarde par icitte.
- Criss qu’y a l’air baveux.
- Ch’t’ai dit de pas l’regarder, des fois qui y prendrait l’idée de travarser.
- Entécas y l’air niaiseux comme ça sur le trottoir.
- Ça y prendrait une pancarte !

Des restes gluants de patates sont expulsés de la bouche de Léo qui éclate de rire. Son visage congestionne. Son rire se termine par une série d’étranglements morveux et de longs renâclements de gorge. 

- Maudites bronches à marde, râle-t-il.
- Sais-tu quoi ?
- Quoi ?
- Y parait qu’y veut sacrer dehors tout le monde, pis en garder jus’t'un sur cinq.
- Bilodeau ? Bonyenne, comment y vas tenir son pool room avec rien que quatre personnes ?
- Aucune idée. Le bonhomme Bilodeau, lui, y aurait pas faitte ça. Y avait de l’allure, le bonhomme.
Rêveuse, Yvette  ajoute :
-Pas de menton, mais de l’allure en maudit.
- Celui-là, l’aut’ bord, c’t’un crosseur. R’gardes-y don’ le menton. On dirait qu’y c’est faitte implanter  un soulier patof dan’ face.
- Léo, tu te rappelles de Josette ?
- Ouan.
- Elle a dit à Sylvie, tu sais celle qui travaille Chez Momo, qui l’a dit à Carole de La Cuisse BBQ, qui l’a dit à Johanne de Québec Hot-Dog, que le Paul-Charles Bilodeau a demandé à ses futurs ex-employés de signer une entente comme quoi ils n’iraient pas travailler dans un autre restaurant pendant six mois pis qu’ils devraient fermer leur p’tit stand à patates sur le bord de la 331. Imagine-tu ça, toé, Léo, pas content de les câlisser dehors mais il veut les empêcher de nourrir leur famille.

Léo avale sa dernière bouchée de poutine.
- Avec du monde comme lui, le pauvre monde a pas fini d’en baver.
- Un menton, mais pas d’allure.
-Ben ben, faut que j’y alle, les bandits m’attendent, dit Léo en repoussant son assiette.
Il se lève avec effort -- maudite affaire, il a encore grossi – et spotte à travers la vitrine ce grand dadais de Paul-Charles Bilodeau qui fait le poteau devant le Bilodeau Pool Room. Léo pète bruyamment, ce qui le soulage.
- Au moins y m’dégage le fondement !

Au moment d’ouvrir le porte, Léo se tourne vers Yvette. Tout allait si bien quand Fernande était là, en ville pis au deli.
- Quand est-ce que la grosse revient, t’en rappelles-tu ?
-Hey, chus pas sa gardienne de prison. Envoye, diguidine, vas travailler… Tu reviens-tu pour souper ? Roger va faire de l’endive farci.
- C’est quoi, ça, de l’endive ?
-Regarde l’aut’ bord de la rue.
Là-dessus, Yvette part à rire et Léo, qui n’a rien compris, sort.

2 commentaires:

Gen a dit…

Ouais! :) Après l'affaire Bastarache, on continue à régler des comptes dans ce Delicatessen là! :)

Pierre H.Charron a dit…

Martineau peut aller se rhabiller...Les éditoriaux du Delicatessen sont juteux à point!

J'aime bien ces aventures d'auteurs invités. Toi et Gen avez
pris le moule avec brio :)