Le rituel implique le port de gants de satin violets fabriqués par les Dames de l’Esplanade

Rita vient de laisser aller ce qui lui restait de vie.

À ses côtés, Carolanne et Jenny se regardent sans dire un mot. Pendant que la première enlève la couverture et déshabille la vieille femme, la seconde se dirige vers le placard.

Pendant que la première plie la jaquette, la seconde dépose un boîtier de bois sur la table de chevet.

Les deux sœurs poussent le lit au centre de la pièce. Pendant que la première caresse la chevelure blanche de Rita, la seconde ouvre la caissette.

Jenny n’a pas le choix. Le droit d’aînesse comporte aussi son lot d’obligations, dont celui de porter les gants et d’exécuter le rituel. Et Jenny déteste le satin. Carolanne vient se placer à côté d’elle, à la tête du matelas.

Les pieds de Rita pointent vers le nord.

« Je ne serai jamais capable!

— Jenny, ne reviens pas là-dessus. Vas-y, pendant qu’elle est encore chaude!

— Tiens la boite dans ce cas. »

Oscar, le vieux chat de Rita, vient briser la concentration solennelle des jeunes femmes. Le félin saute sur le lit, s’approche de la tête de sa maîtresse et se frotte sur son menton.  Il repart aussitôt.

« Tu crois qu’il a compris?

 — Je ne sais pas, mais dépêche-toi! »

Jenny prend le petit couteau de porcelaine dans la boite. Doucement, elle soulève la paupière gauche de Rita. Sa main tremble.

« Puisses-tu nous transmettre ta dignité. »

Une toute petite incision au milieu de l’œil.

Les deux sœurs prennent une grande respiration. Jenny répète les gestes du côté droit. Sa main ne tremble plus. Paupière soulevée et entaille.

« Puisses-tu nous transmettre ta sagesse. »

Jenny pose le couteau sur la poitrine de Rita, la pointe vers le nord. Carolanne tend ensuite le coffret à sa sœur. Celle-ci déroule un mouchoir qui enveloppe deux cylindres d’or. Délicatement, l’aînée les insère dans les yeux de Rita.

Les deux femmes se penchent et, têtes collées, aspirent l’âme de leur grand-mère, avant qu’elle ne traverse l’esplanade.