Textes qui ont pris le bord lors du décès d'une clé USB
À table
Même si cela fait une quinzaine d’années, les souvenirs de mon voyage au Mali demeurent frais à ma mémoire.
Ce fut comme gagner à la loterie : journaliste dans un hebdomadaire régional, mon chef de pupitre m’accueille un matin me demandant si je veux aller en Afrique. J’ai répondu oui à ce que je croyais être une blague matinale et me suis retrouvé à Bamako deux mois plus tard, l’odeur du charbon brûlé dans les narines.
Il a fallu l’occasion d’une rencontre fortuite au Café d’Or pour que remonte à la surface un petit flash. Assis à la table voisine, un petit homme frisé me demande bien candidement : « Vous êtes allé au Mali? »
Je n’ai pu faire autrement que d’afficher ma surprise. Comment l’homme pouvait-il savoir ce que j’avais fait quinze ans auparavant ? La réponse était simple. C’était ma bague argentée qui ornait mon petit doigt de la main droite qui avait provoqué sa remarque. « Elle est caractéristique de ce pays », me dit-il.
Et nous échangeons quelques souvenirs…
Je me rappelle Diara, ce grand homme qui nous a accueillis, un confrère journaliste de Montréal, Lucien, et moi, lors de notre passage à Tombouctou. Il portait justement une de ces bagues, magnifique, imposante. J’ai rapidement décidé de m’en procurer une.. Quelle meilleure façon de porter un souvenir permanent de ce voyage !
Diara a fait honneur à la réputation d’hospitalité de son pays. Non seulement nous a-t-il prêté une petite maison vacante, mais il a eu également la gentillesse de nous offrir à souper. Du riz et du poisson frais – tout est toujours frais au Mali – dans une sauce tomate épicée.
Assis à la place d’honneur, Lucien et moi attendions notre hôte. Il est entré dans la pièce précédant ses trois épouses qui portaient les plats du repas. Bien candidement, nous avons entamé notre souper avec appétit. Et voilà que Lucien s’est mis les pieds dans les plats en interrogeant, innocemment : pourquoi les trois femmes demeuraient-elles dans la pièce qui faisait office de cuisine?
La question était de trop. Le malaise s’est fait sentir, pas tant pour Diara que pour Lucien et moi. Comme le veut la tradition, les épouses ont soupé, dans la cuisine, une fois notre repas terminé… Il ne faut pas trop bousculer les mœurs, nous n’avons pas insisté…
Après avoir chaudement remercié notre hôte, nous avons quitté Tombouctou. De retour à Bamako, j’ai réussi à convaincre un journaliste local de me dénicher une bague comme celle que j’avais tant admirée au doigt de Diara..
Quelques jours plus tard, Bassiriki me remet un paquet de cigarettes qui contenait le précieux bijou, plus petit que celui de Diara, fait de francs CFA fondus!
Par la même occasion, Bassiriki, aussi accueillant que son confrère, m’invite à souper chez lui, accompagné de Lucien.
Comme prévu, nous arrivons chez Bassiriki. Il a aussi invité deux autres de ses collègues. Nous partons le lendemain et nos conversations ne finissaient plus d’en finir. Rien de tel qu’un ragoût de bœuf à la pâte d’arachides sugg : pour délier les langues!
Rapidement, notre conversation tourne autour de la liberté d’expression retrouvée au Mali et de la prolifération des publications depuis la chute du dictateur, un an plus tôt. Mais soudainement, les trois Maliens s’emportent et font fi de notre présence. Ils délaissent le français pour plonger dans l’obstination en bamanakan, les baguettes en l’air, bien entendu.
Lucien et moi, nous nous sentions bien à part. Forme de clin d’œil, nous avons commencé à converser en sortant notre joual du dimanche! Le silence dans la pièce fut instantané.
Ce fut comme un signal. Une grande femme est apparue dans la pièce avec un plateau sur lequel reposaient verres et bouteilles de bière au miel. C’était Myriam, l’épouse de Bassiriki.
Elle a déposé le plateau, et elle est aussi repartie.
Après quelques gorgées, pris d’audace, Lucien me souffle à l’oreille : «Regarde-moi bien aller… »
Il se lève et se dirige vers la pièce d’à côté tandis que Bassiriki ne cesse de regarder par-dessus son épaule.
Lucien revient, accompagné de Myriam. « Elle soupera avec nous », annonce-t-il doucement.
Partagée entre le respect des coutumes de son pays et la politesse due à un invité, la jeune femme est visiblement gênée. Quant à Bassiriki, il a le visage crispé. Ses collègues sont sidérés.
Myriam a soupé avec nous, sans prononcer un seul mot. L’atmosphère était devenue étouffante…
À la fin de la soirée, Bassiriki nous a raccompagnés jusqu’à la voiture, le visage fermé. Il paraissait fort peu goûter l’explication qu’il lui faudrait sans aucun doute donner à ses collègues.
Nous nous sommes envolés le lendemain, sans savoir qui de Myriam ou de l’orgueil de Bassiriki avait écopé.
____________________________________________________________________________________
Coup de théâtre
«Ça sent la mort.» Éric me répétait toujours le même refrain lorsqu’il me rendait visite à mon bureau, tout juste avant que nous nous rendions au 5 à 7 du bistro l’Éclat. Au début, ses petites pointes me titillaient l’orgueil, mais je n’en fais plus de cas. Surtout pas aujourd’hui.
Éric, mon meilleur ami – pourquoi dit-on toujours « meilleur » comme si l’amitié se qualifiait et que le nom de mon moins pire ami pouvait me venir à l’esprit? - mon ami donc, ne sentit plus la mort. Il la vit.
Autoroute 40. Le blizzard se levait pour envelopper ce qui allait devenir un immense carambolage. Le cou cassé, Éric n’a rien senti. C’est ce qu’on dit aux vivants pour qu’ils ne grimacent pas trop, pour les soulager d’une souffrance qui appartient à quelqu’un d’autre.
Je crois aujourd’hui qu’il est allé au bout de son insolence. Éric a toujours eu cette façon particulière d’envisager la vie, de démontrer que tous nos gestes et toutes nos paroles ne sont qu’éphémères. C’est probablement pour cette raison qu’il avait choisi la publicité comme métier, pour l’ensemble des facteurs de dérision qu’offrait ce moyen de communication.
Lorsqu’il partageait un concept, il ne cessait de répéter que ce qui choque n’est pas le message, mais bien le degré d’absorption morale de celui qui le reçoit. Lorsqu’il soumissionnait pour l’obtention d’un contrat, il optait toujours pour la même stratégie. Le client était reçu aux petits oignons dans la salle de conférence de la compagnie. Il commençait sa tirade par une simple question : « Connaissez-vous Jean-Paul Sartre et André Breton? »
La majorité du temps, les réponses étaient positives. Tout de suite, il citait deux phrases de ces auteurs. D’abord Sartre : « Je regardais le dos des gens et j’imaginais, d’après leur démarche, la façon dont ils tomberaient si je leur tirais dessus.» Puis Breton : « L’acte le plus surréaliste qui soit consiste, revolver au poing, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu'on peut, dans la foule.»
À chaque fois, l’effet de scepticisme se lisait sur le visage des invités. Éric renchérissait tout de suite : «Les belles têtes s’empressent de qualifier ces écrits de déroutes tragiques. Après tout, ce ne sont que des lettres de grands auteurs.» Et là, c’était le grand coup. Éric sortait deux grandes affiches sur lesquelles étaient reproduites les citations qu’il venait de prononcer et la reproduction de manchettes de journaux. La première, Un prof d’université abat six de ses collègues en plein campus, la seconde, Tuerie à la polyvalente : 32 étudiants croulent sous les balles.
Après le tollé - certains voulaient même quitter sur-le-champ - Éric ramenait la conversation sur le produit à vendre. Technique de vente dangereuse, il avait même réussi à décrocher le contrat d’un parti politique qui moisissait dans l’opposition. Une affiche simple. Photo du premier ministre en noir et blanc, affublé d’un nez rouge avec la simple inscription « Incompétent ». Pour le ministre de la Santé : « Un esprit ceint dans un corset ». Celui des Finances : «Crache ton cash! » La victoire n’est pas arrivée au bout de la campagne, mais le parti au pouvoir a perdu sa majorité.
Éric était aussi comme ça dans la drague. Macho parcimonieux, arrogant dans les courbes et franc vers la couchette. Je devais parfois le laisser seul, incapable de supporter sa désinvolture, ma foi, parfois suicidaire! J’ai compris bien vite que je lui constituais son premier public. Éric était convaincu que j’entrerais dans ce jeu avec lui. Mais j’étais résolu à personnifier le sage du duo. J’ai réussi jusqu’à ce soir. Et ce que je m’apprête à faire n’est qu’une extension de la personnalité d’Éric.
Combien de fois l’ai-je vu essuyer une claque, un coup de sac à main ou un coup de genou, là où ça fait mal?
Je ne lui ai connu qu’une seule relation stable. Je dis stable parce que je pouvais la compter en mois. Je ne me souviens plus combien. Elle se prénommait Lucie. La belle Lucie. Ravissante, charmante, sensuelle, mais surtout intelligente. C’est la seule qui a pu lui tenir tête, d’où la longévité de la relation. Mais Éric a été assez tordu pour mener une double vie. Il trompait sa blonde, avec sa blonde. Même fille, deux attitudes différentes. Cela a duré le temps d’une patience, le temps qu’Éric refuse de jouer le même jeu, d’être un autre que lui-même.
Lucie l’ayant largué, Éric a encaissé l’onde de choc jusqu’à me déstabiliser. Devant un café, liquide insignifiant pour un exalté, il m’annonce une nouvelle : « J’ai fait mon testament. Tout est réglé et tu es mon exécuteur.» J’ai failli m’étouffer, mais ce n’était que le début. Pas que le legs soit si compliqué – son assurance-vie couvrait largement ses dettes – mais il avait envie d’en finir avec un grand bras d’honneur.
J’ai tenté de l’en dissuader, mais l’amitié a pris le dessus. J’ai accepté ses dernières volontés en comprenant toute la futilité de la vie. Une fois mort, plus rien ne vous importe. Froid comme une glace, vous avez encore le pouvoir de grimacer à la face de vos proches.
Je m’en souviens encore. Je suis sorti du restaurant avec le sourire. Le temps devait changer les choses, me disais-je. Un an plus tard, aujourd’hui, Éric est mort. C’était écrit. Il faut maintenant que je m’exécute.
***
Il m’avait donné un jour, bien mariné dans le houblon, le numéro de téléphone du Gros Lucien, c’était son nom, un propriétaire d’une agence d’escorte. Je compose, lui mentionne que c’est de la part d’Éric et on se donne rendez-vous à la Taverne Tremblay. Je n’ai pas eu de difficulté à reconnaître mon homme. Adipeux, chauve et barbu, les deux bras tatoués.
Je ne suis pas encore certain, mais je jurerais qu’il a fait la moue lorsque je lui ai annoncé le décès d’Éric. « Y va me manquer. Pis aux filles aussi. Maudit hiver!» fut sa seule réaction. Il voulait surtout savoir ce que j’avais à lui demander. Je lui explique la situation et il me recommande Loulou d’une traite. « Elle est capable de faire la job, juge Gros Louis. C’est la seule de mes filles qui a suivi des cours de théâtre. Ça lui donne un petit quelque chose que les clients aiment bien.»
Mon vis-à-vis est d’affaire. C’est 50 % à la commande, le reste à Loulou, une fois le travail terminé. Je règle le tout immédiatement. Je n’ai pas de temps à perdre. Loulou est attendue à 20 h. Gros Louis me paie une autre bière et m’invite à jouer une partie de billard. «Ce sera en hommage à Éric. Il était pourri, mais il adorait jouer», murmure-t-il.
Mon adversaire a dû comprendre pourquoi nous étions amis. J’ai été exécrable. Je ne pensais qu’à Loulou, la façon dont elle allait se coiffer, se maquiller, se déhancher. Je ne savais pas du tout comment me comporter avec une escorte.
Gros Louis entre la dernière boule. Il sourit en me tapant sur l’épaule. « Si tu as besoin de quelque chose, n’hésite pas! Tu connais mon numéro… » Il cale ce qui lui reste dans la bouteille et s’en va. J’en fais autant.
***
18 h 30. Je suis assis dans mon bureau, incapable de fonctionner. Je ne pense qu’aux proches d’Éric. Cette pensée m’est arrivée comme ça, sans préavis. Je ne connaissais pas sa famille. Comment étaient sa mère, son père, pour en arriver à un rejeton aussi particulier? De qui tenait-il? D’un grand-père bûcheron au front de bœuf? D’une tante acariâtre? Avait-il des cousins polissons, une cousine belle comme la nuit?
Je me suis mis à imaginer Éric au cours d’un souper de famille. Disait-il autant de conneries? De toute façon, ces pensées sont bien inutiles ce soir. Loulou s’en vient.
***
19 h. J’ai la trouille. J’ai réellement la trouille. La transpiration perle sous ma chemise. Dans moins d’une heure, tout sera joué. J’ai soudainement le goût de fuir. Je ravale et ouvre le grand tiroir de mon bureau. Le disque compact s’y trouve toujours. J’ouvre le caisson, prends le disque avec respect et je le dépose dans le lecteur. Je n’ai jamais fumé, mais il me semble qu’à ce moment-ci, une bonne clope me ferait le plus grand bien.
19 h 30. Tout est prêt. Le décor est en place, la mise en scène élaborée.
Il doit bien y avoir une trentaine de personnes. Peut-être quarante, je ne compte plus. Je comprends seulement la démesure d’Éric et qu’il la vit à travers moi. C’est probablement un message qu’il m’envoie et que j’ai encore de la difficulté à bien saisir.
Je réussis à me calmer un peu. C’est le moment où une grande blonde bouclée arrive, emmitouflée dans un grand manteau de fourrure noire. Pas de doute, ce doit être Loulou. Au moment où je m’avance vers elle, la confirmation m’arrive sous la forme d’un superbe clin d’œil. Je lui mentionne qu’elle arrive un peu tôt, mais que ça devrait faire l’affaire. Je l’invite à déposer son manteau au vestiaire, mais elle refuse. « Vous avez la musique? », me demande-t-elle. Je confirme. «Dès que j’entendrai les premières notes, je commence.»
Je prends une grande respiration. Le lecteur de disques est loin de Loulou. J’imagine qu’elle est assez grande pour savoir ce qu’elle fait… Je pèse sur le bouton Play. Voilà Éric, ta dernière volonté se joue. C’était, dans le jargon des bars de danseuses, une toune de tapis, soigneusement choisie par mon « meilleur ami ».
J’ai rejoint Loulou. Son manteau était par terre et elle dansait dans le plus simple appareil à travers les gens visiblement estomaqués. Gros Louis m’avait écouté. Loulou avait apposé deux étoiles en or sur le bout de ses seins.
La surprise tenait toujours, alors que Loulou faisait passer un grand foulard vert sur les gens, au tempo de la musique. Deux femmes, visiblement en colère, me bousculent en sortant. Puis vient le moment de résistance, au crescendo de la pièce musicale. Loulou grimpe sur le cercueil, non sans avoir embrassé Éric. C’en était fait de la dernière volonté d’Éric. Vite, une clope.
Le lendemain, j’ai dû rembourser les préarrangements funéraires de trois clients. Bof… Moi, je n’ai plus de meilleur ami.
___________________________________________________________________________________
Du bout de la langue
Je me sens parfaitement guéri. Terminée la maladie. Une nouvelle phase qui me permet enfin de recommencer. Quoi de plus bête que le destin d’être malade, de souffrir de sa tourmente? Non. Je ne fais que répéter ici la propagande protectrice de Georges, mon colocataire. Je préfère jouir de ma passion, quitte à en payer le prix, à l’occasion.
J’atteindrai probablement l’état de grâce d’ici la fin de la journée. Toutes ces coquerelles qui n’ont cessé de jouer à la cachette avec moi n’y changeront rien. Georges non plus. Plus jamais.
Sa mort subite survient au moment opportun. Je suis guéri et son silence me confirme le coup d’envoi. Je l’aimais bien, Georges. En fait, je l’aime toujours et je vais le lui prouver.
J’ai oublié où nous nous sommes rencontrés. Sur la rue, dans une ruelle? Tout ce que je sais, c’est que nous avions assez d’intérêts communs pour crécher sous le même toit. Je revois ses yeux qui flottaient dans l’amertume. Plus de femme, plus de boutique. Le grand Georges cordonnier avait fait faillite! Le petit Georges était cocu.
Avec ses cheveux frisés, il faisait un malheur auprès des dames, il y a trente ans. Il n’a jamais changé d’allure. Je dirais même qu’il s’était raidi. Jusqu’à en perdre son commerce et son amour. Georges était aigre, mais il savait m’écouter. Du moins, c’est ce que je croyais jusqu’à ce que notre vie commune dérape et qu’il décide, un jour, de me couver.
Son corps gît là, bêtement, sur le sol.
Je ne me souviens plus du nombre d’années qui nous séparaient de notre dernière rencontre. Au collège, nous étions les meilleurs amis du monde. Puis après, plus rien... Jusqu’à cette rencontre, sur la rue ou dans une ruelle...
Le petit Jean que j’étais n’allait pas bien du tout. Je ne me rappelle même plus de la maladie dont je souffrais. Georges l’avait probablement compris et m’avait pris sous son aile. Le grand frisé! Je sais bien que nous faisions l’objet de commérages. Mais pendant plusieurs années, j’ai cru, à tort ou à raison, qu’il savait ce qui était bon pour moi.
Après tout, Georges était ce qu’on appelle une armoire à glace. Je n’ai d’ailleurs jamais compris pourquoi la vie lui faisait si mal! Moi, Jean, tout petit, si frêle, sans éducation, sans genre. Je n’étais personne. Je n’avais, pour ainsi dire, qu’un seul petit amour. Ma chère petite boîte de métal. Je dirais, en l’encadrant dans mes mains, qu’elle mesurait trente centimètres? Pas très haute, pas très profonde. Des mesures acceptables pour que je puisse la cacher. Ça aussi, Georges le savait.
Que reste-t-il de nous deux? Nous avons survécu à de nombreuses fins de mois. Ni un, ni l’autre n’hésitions à partager ce que nous avions pour faire taire nos cris du ventre. Jamais.
Georges a tout fait pour que je ne dépérisse pas. Il en pleurait même à l’occasion. Était-ce sa façon de me dire qu’il tenait à moi? Peut-être, mais il n’avait pas à me faire mal, à toucher ce que j’avais de plus cher. Non. Ça ne le regardait pas.
Je sais! Le pauvre devait être jaloux. Jaloux de perdre un ami pendant mes merveilleux voyages. Mais en ce qui me concerne, ces évasions étaient ce que j’avais de plus précieux. C’est toujours le cas ! Combien de fois lui ai-je proposé de venir avec moi? Il a constamment exprimé une réticence niaise, sans motivation. La réponse demeurait toujours négative, sans même qu’il daigne expliquer pourquoi.
Pourtant, combien notre aventure, à deux, aurait été magnifique! Nous aurions pu partager autre chose que de la bouffe. Seulement exprimer nos désirs, nos volontés et nos appréhensions face au monde. Non, non et encore non! Si j’insistais, il plaidait la folie. La mienne. Je le traitais de nombril, d’aveugle imbu d’amour propre et de vaniteux mal peigné!
Maintenant, Georges doit flotter au plafond. C’est ce qu’on dit. Les morts voient toujours après le dernier souffle. Même si son âme reste prise dans les fils d’araignée, je n’aurai pas de peine à me contenter du corps. Il aura beau grogner à l’approche du Paradis, je m’en balance! Je suis vivant! Je suis surtout guéri.
Je vais retrouver ces notes fumées et ces bouches savoureuses. Tous ces corps, toutes ces chairs avec de longues finales relevées. Une suavité que Georges ne comprenait pas.
***
Casse-pieds comme lui, on n’en fait plus. Son acharnement, son ignorance des textures séduisantes et des harmonies à couper le souffle, m’horripile le plus.
J’y pense… C’est bête comment l’affrontement vous éloigne de l’amour. Le mois dernier, j’avoue que le coup de marteau que j’ai asséné sur la cuisse de Georges a failli mal tourner. J’étais déjà guéri, je le jure. Mais il avait décidé de tout mettre sous clé, sous prétexte de m’éviter une rechute.
Je l’emmerde!
Heureusement, il n’a pas saigné. Il a été bon pour une sacrée ecchymose. Un peu de globules rouges et je méritais l’arrivée des policiers. Georges était comme ça. Si ça coule, c’est parce que la situation déborde. J’en ai payé le prix deux fois. À une occasion, il a tenté de saisir le couteau que je pointais sur lui. J’ai composé le 9-1-1 moi-même.
Le sang sur le téléphone blanc m’indiquait que j’avais besoin de repos. Il n’avait qu’à ne pas me sauter dessus et à me donner ce qui m’appartenait.
Mais le pire fut le lendemain de notre déménagement. Il a commencé à me crier des injures et je lui ai répondu en lui cassant une bouteille sur la tête.
***
Il est mort. Le macchabée n’est même pas froid. Peut-il ressusciter? Avec sa bouche grande ouverte, j’en doute. Il a dû mettre la boîte dans sa malle. L’imbécile! S’il n’avait pas avalé la clé, il ne serait pas mort étouffé! Du grand Georges. Une hystérie lumineuse et exquise qui le poussait aux limites de ses contradictions. Il m’interdisait ceci, proscrivait cela. Puis dès que j’élevais la voix, il prenait panique. Il est allé jusqu’au bout. Trop loin. Je vais faire la même chose.
Cela ne fait même pas une heure…
Je lui ai dit, fermement : « Je suis guéri! Donne-moi la clé! » Je soupçonnais sa cachette et il a couru vers la commode, soulevé ses chandails puis avalé la clé.
Je l’ai laissé mourir, là, sur le plancher de la chambre. J’ai pris le marteau et j’ai frappé jusqu’à ce que la serrure de la malle flanche. La boîte. Ma boîte était là. Elle m’attendait.
***
C’est à mon tour d’être effrayé. En quelques secondes. Est-ce l’âme de Georges qui virevolte? Mort, il me regarde. J’entends encore de sa voix nasillarde et pointilleuse. « Tu ne prends pas tes antibiotiques. Tu ne guériras jamais! Tu vas mourir avec tes champignons! »
Je suis vivant et il est mort. Avec sa mesquinerie. Avec ses mots savants aussi. Ça commençait toujours par candidose, et ça finissait inévitablement par mégalomanie. Maintenant la boîte dans la main gauche, je lui ferme les yeux. Pour reprendre mon assurance, je vais te rendre hommage, Georges. Laisse-moi t’enlever tes vêtements. Laisse-moi faire avant la raideur de l’infini. Nous partons...
***
Je ne me rappelais plus...
Autant que je me souvienne, le petit bateau à voiles français voguait sur une mer douceâtre. J’adore la rondeur du chauve orangé. Tout comme sa version verte, plus mûre. Une richesse tout espagnole! Madrid et ses castagnettes, les señoritas en robes à volants... Le rosé pinçant des Philippines me fait sourire, à nouveau, comme il y a quelques mois.
Je trépigne et probablement que rendu à Saint-Germain-en-Laye, Georges aurait rechigné sur-le-champ. Il n’en aura plus l’occasion. Je ne peux m’empêcher de le voir cravaté, comme le roi du Maroc.
Tiens, je jetterai la bouteille d’antibiotiques dans le cercueil!
Je préfère la grande vague des cheveux d’un John Kennedy ou la générosité d’un Thomas Jefferson. Non. Pas d’olympiques aujourd’hui. Ils sont trop creux. Ceux d’hiver comme ceux d’été. J’affectionne davantage le papillon onctueux de Nouvelle-Zélande et la souplesse des voyages Inus.
J’en arrive aux plus belles parties. Un moment de recueillement s’impose, maintenant, tout de suite. Avant cette stimulation suprême, de l’avant à l’arrière. Toute la gamme y sera. De la Grande illusion de Renoir à L’enfant sauvage de Truffaut. Après ce sera au tour des bandes dessinées et l’assemblage sera presque complet.
J’ai volé dans l’espace avec une minifusée attachée dans le dos. J’ai souri en voyant ce grand chef indien, plumes au vent, regarder vers l’arrière. Visiblement, les signaux de fumée ne lui annonçaient pas une bonne nouvelle. Peut-être était-ce la même que pour cette femme du XIXe siècle, avec son grand chapeau? Ils affichent le même air soucieux.
J’ai le goût du monde. Libre, sans tristesse, sans Georges. Peut-être que Pierre Elliot-Trudeau voudrait m’accompagner? Je lui préférerais Elvis Presley.
Certains spécimens me font encore bien rire. Ceux du genre qui vous donnent droit à une batterie de cuisine au bout de six mois.
Tout ça a commencé d’une bien drôle de manière. Je me souviens de mon premier voyage, dans la cave de grand-papa. Il était là, dans la petite boîte métallique, tout au fond de la tablette, sous l’escalier. Ces voyages, grand-papa les remisait derrière la bouteille la plus poussiéreuse. Je me souviens de ses dernières paroles, en montant l’escalier : « Celle-là, elle est pour toi. Tu la boiras quand Papie sera au Ciel. »
Je ne l’ai revu que dans son cercueil. Je n’ai pas eu droit à la bouteille, sous prétexte que j’étais trop jeune. Les parents l’ont bue. Je l’avais retrouvée dans la poubelle. Mais j’ai conservé la précieuse petite boîte. Juste pour moi. Et je l’ai garnie au fil des ans. À l’occasion, lorsque je piquais une crise de voyage, je pensais à grand-papa. À tout ce qu’il m’avait enseigné des plaisirs de la vie. Cette bouteille m’appartenait et on me l’a volée. Pas question qu’on touche au reste. Ni Georges, ni personne. L’amertume tue, n’est-ce pas, mon ami?
Chez grand-papa, il n’y avait rien de tel. Que de la finesse. Cette bouteille, il ne faisait que la caresser des yeux. Pour lui, cette poussière — un sacrilège de la nommer comme tel — devenait dans sa bouche, un signe de maturité. À la place, il préférait en ouvrir de plus jeunes. « Des immatures », disait-il. Pourtant, il les décrivait avec un tel vocabulaire, un tel amour... Jamais plus que quelques gorgées, respectueuses.
Lorsqu’il agissait de la sorte, c’est que grand-maman préparait un repas fastueux. La bouteille qui reposait sur la table ce soir-là était toujours entamée de quelques millimètres. Grand-papa baptisait toujours ses bouteilles... et il me laissait goûter.
Je n’avais certes pas à me plaindre. Grand-maman partageait aussi son savoir et sa gourmandise. Il y avait toujours un peu de chocolat dans un des tiroirs de la cuisine. «Vois-tu, mon petit Jean, comment sa texture est fine, sans trop de gras? Vois-tu comment, lorsque tu le casses, comment l’odeur monte aux narines? »
Aujourd’hui, le goût cassant du joueur de curling, celui plus agressif du patineur et le toujours amer du joueur de hockey me mènent au pays des Mormons.
Un privilège complice que même Georges n’aurait pas compris. La passion ne se contrôle pas! Comme le jour où j’ai pris une partie de l’argent du loyer pour m’acheter le nouveau. J’ai succombé comme un mouton à l’engouement du nouveau millénaire. À cette soif de paix, menée à travers le ciel, bien agrippé aux pattes d’une colombe.
Savoureux, unique et tendre. Sorti de sa boîte métallique gravée pour l’occasion, je le garde pour la fin, pour la bouche de Georges.
Un bien précieux dont je n’ai que faire maintenant. Il n’y aura plus d’autres périples. Je les vis tous à la fois.
Il ne restera plus qu’une vingtaine d’Alfred Hitchcock. Je me dis que je les garderai pour plus tard. Je les connais déjà pour leur belle finale. Mais je ne veux plus, au plus profond de moi, de ce genre d’autre fois qui gâche le plaisir instantané.
Que c’est bon!
Non. Georges n’a jamais voulu partager mes petits voyages. Je le soupçonne de ne pas avoir voulu comprendre. J’ai le monde à ma portée et il n’a pas daigné venir avec moi. Même si je restais tout près. Tout prêt à partager ce goût d'aventure et de savoir. De diadème en diadème, de nature aux animaux, d’œuvres d’art à grands sportifs.
Non. Il a osé refouler la magie en s’interposant. Pire, en m’astreignant à l’isolement dans ma carapace de chambreur.
Il a agi en pirate à l’abordage de mes plus folles envolées. Georges a pris mon butin, ma toute petite boîte à rêve et l’a serrée dans son coffre. Un geste lâche. Le courage lui aurait permis de tout brûler, là, dans l’évier. Ou pire. Jeter mes évasions, une à une, dans la toilette.
Il a préféré tout remiser, comme un sadique. Sachant que je voudrais tout lui reprendre. Cette fois-ci, il a eu peur. C’était la première fois, depuis six mois, que je me prétendais guéri. Et je le suis.
Ces timbres, il m’appartiennent. J’en savourerai la colle jusqu’à la lie, jusqu’à ce que ton corps en soit couvert...
__________________________________________________________________________________
Je parle au Diable (publiée)
Mon père disait toujours : « je parle au diable ». Cette expression, dont je ne comprenais pas le sens, me choquait. Et voilà que j’ai hérité de sa capacité à provoquer des événements, tout simplement en les évoquant.
Tenez, par exemple, l’autre dimanche j’ai vu mon horrible cousin Mario en ville. J’ai presque rasé le mur d’un commerce pour éviter qu’il ne me reconnaisse. Ç’a marché ! Le soir, j’étais à préparer le souper quand j’ai revu son visage...
Mario, diplômé ès casse-pieds, boit ma bière autour de la piscine l’été, emprunte ma motoneige l’hiver, et s’attend à ce que je prête l’oreille à ses discours insipides. Un personnage grossier, sans intérêt, et qui reluque ma conjointe à chacune de ses visites. Je le déteste cordialement.
Juste comme je mettais la dernière main au repas, on sonne à la porte ! Mario se pointe pour me remettre quelques bouquins empruntés... deux ans plus tôt.
Comme d’habitude, il a beaucoup de choses à raconter : je me tape le récit de son dernier accident d’automobile dans tous les détails. Va-t-il enfin se décider à ficher le camp ? Tout le temps qu’il parle, je soupire et j’enrage. Ma sauce à spaghetti commence à sentir le brûlé et moi j’ai le feu quelque part... J’en viens à souhaiter qu’il trébuche en partant, qu’il se casse la margoulette.
Et c’est tout juste ce qui arrive. Une plaque de glace attendait le cousin à la sortie. Et la partie de casse-gueule qui a suivi a amplement compensé ma contrariété. Mario a en eu pour trois semaines d’hôpital. Et j’ai défendu à ma conjointe d’aller le voir !
Évidemment, parler au diable n’est pas une mince affaire et j’ai souvent tenté le sort. Sans succès, car pour que ça fonctionne, il faut que la pensée vienne subitement. Impossible de créer l’événement. J’ai essayé avec la loterie, à la recherche d’une promotion et même déjà demandé qu’il fasse beau pour un super B-B-Q entre copains. Il a plu à torrent.
Mais quand je pense...
La semaine dernière, rivé derrière le volant et dans le trafic, je pestais à qui mieux mieux. Le scénario habituel. Une rencontre importante, je suis en retard, il me manque des documents et mon moteur sent la surchauffe ! Difficile de téléphoner quand la pile de votre téléphone cellulaire vous dit adieu en plein milieu d’un pont.
J’ai souhaité vous entendez, simplement souhaité que les dirigeants de la compagnie de téléphone apprennent ce que c’est que de manquer de communication quand on en a besoin. Dès le lendemain, on annonçait aux informations que tout le réseau téléphonique s’était effondré et que la femme du président de la compagnie était morte d’une crise cardiaque sans que son mari puisse appeler à l’aide.
Parler au diable, c’est souvent prédire le pire aux gens qui nous entourent. Souhaiter le bonheur demeure un exercice banal, à la portée de n’importe quel mortel. Mais présager des événements à ceux qui vous entourent à cause des gestes ou des décisions qu’ils prennent peut devenir aussi amusant.
Quand ma douce moitié me parle des drames d’une collègue, je lui réponds, sans attendre, que ça finira par un divorce, une poursuite ou une plainte au criminel. Le Diable me parle et je transmets son savoir. Cela fait que ça influe directement sur ma personnalité et je suis fier d’annoncer que de plus en plus de personnes me trouvent moche et défaitiste.
J’essaie de me maîtriser, mais difficile quand on personnifie le porte-voix de Satan ! J’exagère sûrement. Non finalement, les catastrophes arrivent à ceux qui les méritent. Tenez, hier, au boulot, je me suis engueulé avec une collègue. Une engueulade monstre et je lui ai finalement dit d’aller se faire foutre...
Elle a été agressée dans un parc le soir même...
Je ne sais plus où donner de la tête tant j’ai à faire pour redresser les torts. J’implore ce mal qui m’assaille dans le quotidien, comme dans la tragédie spontanée. Je viens de pester contre les satanés chats de mon voisin. Je déteste les chats. Ce sont des animaux inutiles.
Les deux horribles bêtes s’amusaient sur ma voiture. Ma voiture neuve couverte de traces de pattes boueuses!
Encore une fois, ma douce moitié m’a calmé les nerfs. Elle a même tenté de me convaincre qu’il s’agissait de bonnes petites bêtes de compagnie en m’amenant à l’extérieur. Comble du malheur, ces êtres poilus à quatre pattes s’y trouvaient toujours. Pire, ils adoraient ma dulcinée !
Celle-ci en pris un dans ses bras et m’a demandé de m’approcher et de le flatter, juste un peu, en me disant qu’une voiture pouvait très bien être nettoyée.
Je lui ai répondu net : « J’aime mieux mourir que de flatter ce sac à puces ! »
Cela fait maintenant une semaine que je suis enfermé dans ma chambre. Aidez-moi...
_____________________________________________________________________________________
Le thermomètre
J'ai le mâle à l'âme. Chaque hiver c'est la même chose. Mais ce soir, le bas ventre me triture plus qu'à l'habitude. Le cou, les fesses, la poitrine. Ma serviette de ratine m'offre peu de réconfort au sortir de la douche. J'ai besoin davantage que de la crème anti-ride à me mettre sur le corps.
Je recule, reviens et parcours les souvenirs de canicule. La saison des vêtements plus légers, les journées où la peau s'offre au Soleil. Soif de sueurs.
J'en ai marre. Fatiguée, j'irai à la pêche au harpon. Qui prendre? Qui choisir? Je sais que l'exercice est source de chaleur. Pas d'aérobie. Je veux un corps sur le mien. Je veux poser mon corps sur le sien. Sur le sien? Lequel choisir? Comme si j'avais déjà des noms...
Pourquoi faut-il toujours attendre. La jouissance expectative au bout du regard... La pêche au bas filet rapporte trop de spécimens. Je préfère la pêche à la mouche. Un peu de parfum et quelques mots lancés puis rattrapés en espérant la belle prise. Mais j'opte pour la glace. La ligne du décolleté et la brimballe va et vient.
Je mange plus gras parce qu'il fait plus froid. Le cognac me rend le coeur chaud. J'ai besoin de défi.
Luc, je choisi Luc. Parce que ça fait cul à l'envers. Parce qu'il est macho. Parce qu'il est con. Parce que je lui résiste.
Je recule, reviens et parcours. Ce sera Luc. Ce grand homme musclé, abonné à la terrasse du Bistro d'Or. Un vrai. Typique. Nous le voyons toutes venir. Il regarde sans crier gare. Il reluque avec des yeux perçants. Un véritable voyeur en série.
L'été, Luc est trop évident. Que sera-t-il, en janvier, à trente degrés sous zéro? Je vais lui dire oui. Sans m'expliquer. Je verrai bien s'il est aussi con qu'il le laisse paraître. "Luc, baise-moi! Fais ce que tu veux." Mais c'est moi qui ferai ce que je voudrai, où je le voudrai. Je serai à la hauteur.
L'accès au garage est déneigé. J'ai mis quelques bûches dans la truie. J'ai dépoussiéré ma vieille causeuse qui attendait toujours son transport pour le dépotoir. Tout est parfait. Je le crois du moins. Il ne me reste plus qu'à retrouver ma petite bouteille.
Le manteau de fourrure de ma vieille tante Aline ne sent plus trop le placard de cèdre. Je ne sais pas si Luc aime la fourrure. Qu'importe. C'est moi qui décide. Dans le classique. Manteau de fourrure et collier de perles.
Le manteau, le feu, son corps. Ça devrait suffire.
J'ai seulement un petit problème. Je le reçois à la maison et je l'invite au garage. Je le suis, je le guide. Mais en bottes? Ça coupe le charme.
Il me prend dans ses bras. Je peux garder mes escarpins. Non. C'est moi qui mène.
J'irai au garage avec mes bottes et je mettrai mes souliers là-bas. Il viendra m'y rejoindre. Pas de maison.
Des bas. Sans jarretelles. Ils tiendront seuls. Le moins d'accessoires. Ils seront noirs. Et je laisserai ma poitrine libre. Les seins au froid. Une offrande, Luc. Une offrande.
Et s'il ne répondait pas à mon invitation? Il va répondre. J'irai le chercher par le scrotum s'il le faut. Il viendra ici, chez-nous. Il viendra sur moi, en moi. Luc, viens. Je t'attends.
Je suis convaincue que ma voix fera le travail. Il ne pourra plus résister. Viens avec ton érection, joli garçon. Les couilles qui lui servent de cerveau ne poseront pas de question. Il arrivera tout de suite. Avec un peu de doute, mais pas plus.
Je me mordrai les lèvres en raccrochant et laisserai tomber un léger soupir. Tout juste avant de sortir. Il fait moins trente degrés. J'ai besoin de chaleur.
Mes rondes fesses sur la causeuse s'acclimateront. Mon coeur gonflera mes tempes lorsque j'entendrai la portière de la voiture. Je suis prête à m'offrir. C'est mon jeu. Caresse-moi.
Je serai cette bûche et Luc me couvrira de ses flammes. Sans moi, il ne pourra plus vivre. J'attendrai. J'entendrai ses pas dans la neige. Il faut que j'appelle. Maintenant!
Il ouvrira la porte et je lui répondrai en haïkus
Baignée dans l'orgie
L'opulence de la chair
culbute l'amour
J'ai vu ton visage
senti toute ta chaleur
goûté tes cheveux
Je me suis noyée
dans le parfum de ta peau
je voulais t'aimer
Luc ne saura plus quoi faire. Je lui dirai simplement: "Déshabille-toi"
Je verrai sa stupeur. Il n'aura aucun effort à fournir. Je l'inviterai pratiquement nue, à baiser, ici, dans le garage. Il n'aura pas à lever le petit doigt. Sa vanité demeurera discrète. Viens. Prends-moi. Point à la ligne. Pourquoi s'attendrir dans l'inutile?
Je lui offrirai un peu d'alcool. Pour le ramollir. Pour me donner du temps. Pour qu'il puisse me voir. Me sentir. Me toucher. Pas question. Pas tout de suite.
Je lui offrirai un peu plus d'alcool. Pour me donner du temps. Pour jeter son chandail, ses pantalons, tout ce qui me tombera sous la main, là, dans le feu.
Il protestera. Je serai plus aguichante. Je voudrai qu'il pense au moment présent. À moi.
Luc sera-t-il doucereux? Violent? Amorphe? Baisera-t-il selon ses prétentions?
Déshabille-toi!
Pas tout de suite. Il faut toujours bien que je te téléphone. Je pose le combiné entre mes cuisses. Pour la chance. Pour l'espoir. Je compose. Il me répond. Je lui parle.
"J'arrive tout de suite..."
C'est bien ce que je croyais. Aussitôt dans le garage, j'ajoute une bûche supplémentaire. Luc s'en vient. Et j'ai froid. Il fait trente degrés sous zéro. Je languis sous mes petits frissons. Je m'approche de la truie et prends de grandes respirations. Ça va mieux. J'approche finalement la causeuse et je sors ma petite bouteille de mes poches. Il me trouvera probablement sotte.
Je ne veux pas le geler. Je n'ai rien à foutre d'une sucrerie glacée. La portière! Le voilà. Comme prévu... Luc prend la peine de cogner à la porte. Je ne peux m'empêcher: "Tire la chevillette, la bobinette cherra!"
Luc est surpris et je ne lui donne pas le temps de réagir. Comme toute bonne hôtesse, je lui demande de me donner son manteau. Je le jette par terre puis je lui offre l'accolade, non sans lui offrir ce que je porte sous mon manteau... Pas un mot ne sort. Je lui saisis le sexe de la main gauche et lui pince une fesse de la droite.
Un petit grommellement précède un bruit étrange que j'attribue à la satisfaction. "Viens t'asseoir..." Aussitôt sur la causeuse, il sort son arsenal de baisers mouillés. Une langue peu subtile et des mains qui ne connaissent rien de la finesse. Les seins sont déjà pétris.
Déshabille-toi!
Je le somme de reculer. Il proteste. Il rechigne à l'idée de jouer à Adam pendant que je me vautre dans un manteau qui me protège de l'humidité. Je lui réponds en lui envoyant ma petite culotte à la figure. Il obtempère.
Pendant la fellation, je sens que les flammes baissent. Le sang me monte à la tête et gonfle mon sexe. La satisfaction lui sert de couverture. Il trouve une seconde pour me demander de nourrir le feu. Je refuse et pompe davantage.
Je l'invite à se coucher sur mon petit divan. Je me couche sur lui et lui offre la chaleur de mon manteau. Quelques minutes, pas plus. Il gueule lorsque je jette son chandail au feu. Les flammes reprennent. Je le reprends en bouche.
J'ai chaud. Je suis bien, il a froid, mais il ne s'en plaint pas. Son comportement est à la veille de changer. Je lui claque les fesses pour motiver sa grogne.
Ça fonctionne et il frissonne. Je deviens plus tendre et lui passe mes mains dans le dos, pour le réchauffer. Son érection tient le coup.
Luc commence à me caresser, de sa grosse main, en recommençant une embrassade humide.
J'aime. J'aime beaucoup.
Ses gros doigts me tripotent et mon corps se laisse aller. Des longues minutes. De très longues minutes. Je me retiens. Luc perd en dextérité. Ses doigts sont froids. Puis il me dit, bêtement, qu'il ne sent plus mon parfum.
Je m'assois sur lui et je démarre la pétarade. Il faut bien arriver au but. Il ne semble plus frissonner, mais il se plaint du vent qui s'incruste sous la porte du garage. Du même élan, il se vante de l'aventure. "Du jamais vu!", dit-il. Je savais bien qu'il était con.
J'ai ce que je voulais, mais Luc ramolli. Je lui demande de se réchauffer près de la truie et je me caresse allègrement. Il a de la difficulté à se tenir droit et commence à rouspéter. Il me demande d'enlever mon manteau. Sur un ton qui porte peu à équivoque.
Je m'exécute. Mais Luc ne bouge pas. Il commence à raconter la soirée avec sa dernière conquête et trouve insipide de faire l'amour dans une chambre à coucher. Il ne frissonne plus, mais son aventure sexuelle qu'il me débite perd de son intérêt au fur et à mesure qu'un bégaiement que je ne lui connaissais pas s'accentue.
À nouveau, je m'offre Luc en dégustation. Là, débout, le sexe bien droit dans ma bouche, ses jambes vacillent. Il rit. Il jouit. Enfin. Il veut aller dormir, dans la maison. Il veut bien m'aimer, mais dans mon salon. Pas question. Nous restons ici. Ce n'est pas fini. J'en veux encore.
Je commence à l'asperger de qualificatifs. Le sexe au repos, je lui gonfle l'orgueil. Je lui offre mon manteau. À mon tour de frissonner.
Je suis prête pour le jeu final. Je mets la main sur ma petite bouteille et je lui explique le jeu. Je me couche sur la causeuse. Luc reprend de la chaleur sous le manteau et m'écoute, malgré un visage maquillé d'impatience.
Je lui explique et me caresse. Pour le tenir alerte. Et je lui parle de Monsieur Tremblay. Le professeur de chimie que nous avions, tous les deux au secondaire. Celui-là même qui ressemblait à Colombo. Je lui ai parlé de la grosse bouteille, celle qui ressemblait aux gourdes qu'utilisent souvent les sportifs. Elle contenait un liquide gris.
Luc cherchait moins dans ses souvenirs qu'il regardait mes mains agiles. Puis il s'est souvenu. Et ne voyait pas pourquoi cette anecdote avait de l'importance. Là, dans le garage.
Je lui demande de venir jouer au missionnaire. Il acquiesce, comme je m'y attendais. Un grand classique, simple et efficace. Nous jouissons à tour de rôle. Luc présente une faiblesse. Il veut rentrer. Boire un café. Tout ça va trop loin pour lui.
Je recommence avec mon jeu et il me traite de folle. Luc ne sait pas où je veux en venir.
Il s'agit seulement d'un petit fantasme. Un tout petit. Pas de malice. Il me répond que Monsieur Tremblay n'a rien d'érotique. Je lui explique que j'ai réussi, à l'époque, à voler un peu de ce liquide gris. Je lui montre ma petite bouteille.
Oui, Luc, je l'ai depuis tout ce temps. Je ris. De le voir nu, ses bas aux pieds en manteau de fourrure. Je lui promets qu'après... Nous rentrerons à la maison. Parce qu'il... Parce qu'il pourrait bien partir.
Je lui donne ma petite bouteille. Toute petite. Je baille soudainement à m'en décrocher la mâchoire. Luc, je me couche. Verse m'en une goutte, sous le menton. Vas-y! Je resterai immobile. À peine un souffle pour demeurer stable. Seulement une goutte, qui, par la force des choses, glissera entre mes seins, filera sur mon ventre et terminera sa course sur mon sexe.
Verse une goutte. Je veux la sentir glisser. Je sais où se trouve ce froid. Mon corps saura nous l'indiquer.
Luc, le mercure est à la baise. Non. Pas d'ambulance. Pas d'hypo... La goutte de mercure glisse. Empêche l'inconscience et embrase-moi. Là, ici, dans le garage. Le feu ne brûle plus... Tous ces hivers noirs...
Le cafard crie sa douleur...
Le sommeil me chauffe.
____________________________________________________________________________________
Le cordonnier Bouchard
Connaissez-vous l’histoire du cordonnier Bouchard de Val-d’Or? Un ancien mineur qui est arrivé au pays de la couenne dure et de l’espoir alors que le siècle venait à peine de fêter ses trente ans. Un gars fait fort qui s’en venait à la ville qui s’érigeait à travers la poussière et sur la boue.
Le cordonnier Bouchard était un grand chum de mon grand-père Herménégilde. Les deux travaillaient à la mine Lamaque. Mais à un moment donné, les deux hommes ont cessé de se parler. L’histoire veut que le bonhomme Bouchard trouvait mon papi trop pieux! Il disait que le curé lui donnait mal aux oreilles du haut de sa chaire! « Tu me casses les couilles avec tes bondieuseries, Hermé! C’est pas le p’tit Jésus qui va te mettre du pain en dessous de ton beurre! » répétait-il.
Mais le bonhomme Bouchard n’a pas voulu quitter ce monde sans parler à son vieil ami une dernière fois. Couché sur son lit de mort, il a demandé à son aîné d’aller chercher Herménégilde. Il voulait lui souffler des mots avant de partir.
Quand mon grand-père est entré dans la chambre, le bonhomme Bouchard a retrouvé une drôle d’énergie. Il s’est mis à parler, à parler et à parler encore sans que Herménégilde puisse l’interrompre :
« Tu sais, mon vieux fou, j’ai trouvé une belle drogue qui me convenait. Je me suis mis à manger, mon Hermé! Puis à flairer les bonnes affaires dans la ville. Sur la principale, en bottes à pimp, j’ai appris à sortir en société, à m’amuser et à fréquenter de nouvelles gens. Tu as bien essayé de me ramener à toi, pauvre con. À ton foutu Bon Dieu. Et j’ai tout fait pour t’éviter.
«Le fric, encore le fric et toujours le fric. Que tu sois dans la cité ou au bout de la neige, ça demeure le sang de bien des vies, comme les nôtres.
«Moi, je continuais à manger, à me faire discret et à manger toujours. Je me suis fait de nouveaux amis, dans la discrétion. J’ai eu de la difficulté au début. On m’appelait le Sauvage du Sud. Personne ne connaissait mon passé. Je me construisais un présent sans trop de mal, dans la peur d’être trahi par un salaud comme toi!
« J’ai rencontré un prénommé Sam à l’île, un soir de baise et de boire. Il avait gagé que je n’aurais pas le courage de le faire. Le ton bon enfant laissait entrevoir la gageure d’ivrogne. J’ai compris, par la suite, qu’il s’agissait d’un test. Puis, c’est devenu systématique. Un rituel beaucoup plus sobre et, surtout, payant!»
L’histoire veut que mon papi trouvait Bouchard assez incohérent et il a voulu partir. Le cordonnier lui a saisi le bras avec une force peu commune. Je me souviens encore quand le grand-père m’a raconté cette histoire la première fois. Il jurait sur la tête de tout le monde que l’agonissant avait du feu dans les yeux! Et il a continué à parler :
« Là, Hermé, je me suis mis à pondre! Avec mon salaire de mineur, je me suis fait une vie, toute calme. Après la fermeture de la mine, j’ai bien mesuré le risque et je me suis lancé. Petit à petit, j’ai construit mon commerce. Mon premier métier, comme le père. Cordonnier. Petit, j’étais convaincu que le paternel n’était qu’un fabricant de strappes pour attendrir les enfants. Et qui se faisait payer en bouteilles.
« J’ai collé les beaux billets verts, les uns par-dessus les autres. Te souviens-tu quand tu es venu me déranger chez nous, j’étais dans la back house en train de gémir et que tu voulais avertir le docteur? Bien Hermé, je chiais de l’or, le cave!
« J’ai toujours bien fait attention. Surtout le jour où la rumeur a couru qu’un mineur avait été pris de convulsions. Tout le monde se doutait qu’il faisait partie des suceurs de pyrite. Tout le monde s’est fermé la trappe.
« Au bout de quelques années, j’ai gradué, grâce à ce cher Sam le Cyclope, propriétaire de la taverne, un pauvre éclopé de Montréalais qui traînait de la patte avec son œil crevé. En plus de fournir moi-même, j’achetais les précieux cailloux de deux autres gars qui travaillaient dans les mines, à l’autre bout complètement de la ville. Je pense que tout ça a duré une bonne douzaine d’années. D’abord, l’or se trouvait de plus en plus profondément. Moins visible aussi. Puis la mine a fermé, épuisée. J’ai continué à collecter quand même jusqu’à ce que la situation devienne plus délicate. Ça jasait de plus en plus et une des compagnies minières a embauché un policier. Juste pour ses mineurs. Un geste qui fut imité par toutes les autres. Une initiative suffisante pour nouer bien des estomacs!
« Le plus particulier, évidemment, était de récupérer la précieuse marchandise. Les mains dans la merde, sans oublier une cigarette au bec. T’imagines, Hermé? Mes propres selles me donnaient envie de vomir! Encore aujourd’hui, je ne suis pas capable d’aller aux chiottes sans brûler de tabac. De toute façon, ça n’a plus d’importance, je m’en vais bientôt…
«Imagine l’affaire… à mesure que je poussais, mes tempes s’humectaient d’espoir. Il fallait que je ressaisisse mon rictus satisfait. Un grand rire m’aurait fait gober des mouches. La première fois, j’étais si excité que je me suis étouffé. Les accouchements ne se passaient pas trop mal. Jusqu’`ce que je devienne ambitieux. J’ai su finalement équilibrer la dose et jauger la qualité de ce que j’ingurgitais. À certaines reprises, les morceaux étaient définitivement trop gros. J’ai vomi, en pleine galerie de la mine, jusqu’à la bile.
«C’est après cette mauvaise expérience que j’ai compris que je n’étais pas le seul à m’offrir cette petite collation. D’autres mineurs laissaient leurs traces. Même qu’un jour, un petit nouveau s’est senti d’attaque. Il est mort étouffé raide.
«D'autres, naïfs, récoltaient l’Eau lors de nettoyage de galeries. Un gars passait le tuyau d’eau. Je te jure. 30 livres de pression au pouce carré, pour être certain de ne rien manquer. Ça faisait partie de la routine. À l’autre bout, certains puisaient l’eau, convaincus d’y trouver de l’or. Moi, je les appelais les peureux!
« Tout le monde s’est calmé un peu et, dans mon cas, j’ai réduit les portions. Ça exigeait plus de patience, comme celle commandée pendant une partie de cartes. La victoire arrive toujours. Et j’aimais mieux chier un peu d’or que me condamner à manger de la merde. Je passe les autres étapes… Nauséabondes! Au début, j’avais l’esprit un peu tordu. Puis j’ai ri un peu, beaucoup. Moi, Bouchard, la poule!
«Tout le reste se faisait simplement, dans le petit bar miteux du Cyclope. Il a passé de nombreuses fois devant le juge, celui-là. Il avait cependant suffisamment d’amis pour s’esquiver et vendre mon or de merde. Je ne traînais pas trop avec lui. Donnant-donnant, pas de question, aucune négociation. Un peu d’Île de chair — bien oui Hermé, j’allais aux putes — quelques cuillères d’huile pour entretenir les tuyaux et beaucoup de sommeil.
« Le seul problème que j’avais, c’était de me fixer une fin. Il fallait que j’arrête un jour. Un peu par obligation. Avant que le dégobillage ne devienne la maladie du mineur. Avant qu’il n’y ait d’autres morts. Ça s’est calmé. Même que des gens de la mine surveillaient les chiottes. Pour ceux qui ne pouvaient pas se retenir!
« Je revois toujours cette image, fin de l’après-midi. Je m’en allais chez le Cyclope pour ma vente. Je m’adonnais à passer devant la station de police : deux rangées de machines à sous trônaient près de la porte. Quelques hommes riaient de bon cœur. Satanés hypocrites. Autant je reconnaissais la quincaillerie de mon acheteur d’or, autant m’étaient familières deux ou trois faces de visiteurs réguliers. De bons clients de nuit qui œuvraient à sauver la morale le jour. Maudite morale, maudite Église! Plus cette ville s’organisait, plus il fallait faire attention. Et tu étais bon là dedans, mon Hermé!
«Là, c’est mon corps qui est devenu une mine. Il y a un paquet de monde en dedans qui font des blasts pour trouver le gisement, pour m’extraire le cœur. Alors si tes bondieuseries existent, que le Diable les emporte!
« Aujourd’hui, il n’y a plus personne qui mange de l’or. Nous autres, on savourait les galeries. Aujourd’hui, on déplace les routes et des maisons, Hermé! Pour agrandir la mine à ciel ouvert. Non, Hermé, les mineurs ne lichent plus…» Et là, après un grand spasme, le cordonnier a fermé les yeux vers la mort.
C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, on dit qu’il coule de l’or dans les veines des enfants Bouchard.
____________________________________________________________________________________
La franchise du desposte
(Ce n'est pas une nouvelle, mais un petit hommage à J.P.)
Je suis élu
Je suis l'élu
Le premier et non le moindre
Pour le bien du peuple
Pour son salut, pour ma gloire
Je dois maintenant m'astreindre
À déléguer et à m'adjoindre
De faux amis aux vrais poignards
Pour ramer au rythme de l'État
J'écarte les fidèles
Sans envergures
Trop contents d'être menés
J'oublie les ambitieux
Et leurs trop grands miroirs
Je dois maintenant prendre le micro
Et souffler dans l'entonnoir de la gloire
Tous mes choix, mes ultimes marionnettes
Pierre, ministre du Veau, de la Vache et du Cochon
Jean, ministre du Revenu à l'emporte pièces
Jacques, ministre relégué aux Oubliettes
Luc, ministre de l'Indifférence sociale
Anémone, ministre de la Vitesse et de la Performance
Mathieu, ministre de la Dépense nationale
Angélique, ministre de la Transformation
Je me réserve
Le Secrétariat de l'ambition
L'Office de la bienséance
L'Institut du progrès
À tous, je désigne une limousine
Avec tous, je mènerai de grands projets
Un jour, j'aurai mon visage sur la monnaie
L'Histoire se souviendra de moi
J'ai confiance
Assis sur le siège de la gloire
Supporté par le pouvoir
Je foncerai
Je piétinerai
J'humilierai
Je suis fier
D'étrangler la Nation
Les mains gantées
De la majorité
Je suis brave
D'assumer autant de responsabilité
À l'autel du sacrifice
Je suis élu
Je suis l'élu
J'ai gagné au jeu
En dissimulant les règles
En imposant les miennes
En trichant
Inopinément
À coups de bulletins
La démocratie des justes
M'a donné le bâton
Vous m'adulerez
Attendant les carottes
Je discourrai avec les Grands
Avec les miens
Ceux de ma race
J'assume cette ivresse
Je resterai lucide
C'est ma force
C'est mon devoir
Je mourrai peut-être assassiné
Ce sera l'oeuvre du courage
Mais jamais je ne serai jugé
Jamais je ne serai bafoué
Vous m'avez élu
Je suis l'élu
C'est votre choix
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire