Tu


Mardi, en allant à ta librairie, tu voulais être certain de mettre la main sur ton exemplaire, les dernières fois, il n’y en avait que deux, mais cette fois, tu as oublié la notoriété de l’auteur, il y en avait facilement une trentaine qui t’attendait, puis arrivé à la maison, tu as déposé le livre sur le réfrigérateur, près de la porte, et tu n’y as plus pensé, tu avais à terminer L’Incident, de Pierre H. Charron, tu ne sais toujours pas comment écrire là-dessus, parce que tu trouves étrange de joindre la même équipe le printemps prochain, tu finiras bien par trouver, alors tu reprends le bouquin de cet auteur connu en sachant que tu n’as jamais avoué ne l’avoir jamais lu et seulement vu sur la grande toile en te disant
«Yé fucké ce gars-là!»
                                       à chaque fois et que tu te souviens de sa popularité au dernier Salon du livre et que tu le regardais comme si c’était Guy Lafleur alors que cet après-midi, tu as sa dernière oeuvre dans les mains et que ça ne prend que quelques pages avant que tu ne manques de souffle, puis un peu après la moitié, tu te rends à l’épicerie pour le souper en écoutant la guitare de Jack White à planche et puis tu regardes les gens dans les yeux et tu penses à un texte de Sartre où le personnage caresse son fusil en se promenant dans la foule, tu as déjà hâte de continuer la lecture, après cette bouffée d’air, pour continuer cette folle fuite en avant, pour continuer à te dire que lui, il a du talent, que tu dois encore travailler beaucoup, que tu étouffes, que tu compenses en te disant que tu as déniché un je et un moi, des éclats, jusqu’au dernier moi du texte, alors que tu es complètement renversé, sachant que cette lecture est unique, rare et que tu éprouves soudainement une grande jalousie, peut-être aussi de l’espoir qu’il est possible d’écrire jusque-là et que tu y arriveras peut-être un jour, mais pour le moment, tu es aussi ému, épaté, tu constates tout le pouvoir des mots, des idées et de la ponctuation, tout en saluant le respect que tu as     
                                                                              envers lui.

4 commentaires:

Frédéric Raymond a dit…

Tout ça est vrai.

Gen a dit…

Je devine un pastiche du style et de la narration.

Si c'est le cas, ça ne m'étonne pas que le texte soit fort. Une narration en "tu", si on arrive à s'y identifier, ça fout toute une claque!

Ne t'y trompe pas par contre : si c'est ton premier Sénécal, il n'est pas représentatif.

richard tremblay a dit…

Il y a un méchant buzz autour de ce roman, je l'ai mais je n'ai pas le temps de le lire tout de suite...

Pierre H.Charron a dit…

Moi aussi, je l'ai et je me réserve un temps pour pouvoir le lire d'une traite